top of page

Témoignage

(Un texte intime relatant une période difficile que j'ai traversé)

Une âme belle et remplie de bonté m’a soufflé l’idée de ce petit texte. Sans prétention, sans moral, plein de pudeur et, je l’espère, de justesse.

Alors ne soyez pas trop prompt à juger mes lignes, elles se ne sont rien de plus qu’un simple témoignage humble d’une souffrance bien réelle.

 

Cela parle d’un couple, l’un est extraverti, exubérant, fort, fier, théâtral et rempli d’une bonté incroyable. L’autre est introverti, timide, plus réservé, mais surtout plus fragile aussi. Chacun a ses démons, son passé les ayant forgés avec des fêlures à la fois similaires et pourtant bien différentes. L’amour qui les lie est singulier, éclatant, fusionnel et passionnel, un lien que certains ne comprennent pas. Et pourtant, il est là, baignant dans le respect et l’écoute de l’autre sans jamais qu’un seul jugement ne soit une seule fois posé.

Ceci est mon témoignage, celui d’Artémis et de son Endymion, un résumé de six mois passés dans l’obscurité de la maladie. N’y cherchez aucun sens caché, aucune grande vérité, ce n’est là qu’un récit simple, honnête et sincère que beaucoup de personnes rencontrent aujourd’hui : le cancer.

 

Octobre 2021, une année marquée par la crise sanitaire de la covid19, où la tension générale était suffisamment palpable. J’avais quitté mon précédent poste en septembre pour déménager dans le sud de la France avec Endymion. L’avenir nous ouvrait les bras, nous chassions la morosité ambiante et le stress mondial en fixant nos rêves dans des discussions interminables sur l’avenir.

J’avais hâte d’entamer ce nouveau chapitre de ma vie. Chercher des maisons, s’arracher les cheveux pour créer son petit cocon, inviter sa famille et ses amis, profiter de la vie dans un environnement qui nous ressemblait. Mais les choses ne se sont pas tout à fait passées comme prévu.

Trois jours environ après mes 30 ans, une nouvelle effrayante nous est tombée dessus. Une chose que nous n’avions absolument pas prévue, anticipée, à laquelle personne n’était préparé. En l’espace de quelques jours, très rapidement, notre vie, notre couple a pris une dynamique totalement différente.

Endymion allait avoir 29 ans en décembre, je venais tout juste d’avoir 30 ans. Il avait déjà subi une opération de l’épaule et une de la cheville les années précédentes, et, aussi bénignes que puissent être ce genre d’opérations, ayant une phobie des hôpitaux, je n’avais que moyennement bien vécu ces petites opérations.

Mais ce n’était rien face à ce qu’il s’est passé début octobre 2021. Après un rendez-vous avec un ami étiopathe, que j’appellerai Chiron et que nous ne remercierons jamais assez, Endymion a décidé d’aller consulter. Depuis plusieurs semaines déjà, il avait une gêne claviculaire qui l’empêchait de dormir. Et en période de pandémie, il était devenu assez compliqué d’avoir une consultation autre qu’en téléconsultation.

Chiron, le connaissant bien, et après un deuxième rendez-vous qui n’a pas permis de soulager la gêne, s’est permis de lui envoyer un message. Il insistait pour qu’Endymion se fasse ausculter, car sa gêne était suspecte.

Nous avons à peine eu le temps de nous inquiéter que son diagnostic était posé : lymphome Hodgkinien, stade 2, une chaîne ganglionnaire au niveau des bronches.

Coup de massue. Qui pouvions-nous blâmer dans ces cas-là, à part le logos ? On se dit qu’à même pas 30 ans, on n’est pas censé avoir de cancer. On ne comprend pas, on veut rejeter la faute sur quelqu’un, mais le malade n’y est pour rien, ça arrive et puis c’est tout. On se met à détester le monde, pour l’injustice, pour la gratuité de ce drame.

Parce que oui, quand on apprend la nouvelle, ce n’est pas une maladie, c’est un drame, parce que cancer est synonyme de mort, de fin, de souffrance. On se voit déjà habillé en noir, pleurant dans un mouchoir immaculé, se remémorant des souvenirs que nous n’avons pas suffisamment chéris. On ne pense pas du tout au combat, on ne pense pas du tout rémission.

Du moins, c’est comme ça que je l’ai vécu. Je me voyais déjà perdre l’homme que j’aimais d’une maladie qui me terrorise depuis plusieurs années déjà.

Et puis, Endymion s’est mis à se renseigner, plonger dans les méandres d’internet pour tout savoir de sa maladie, de son cancer, de son lymphome Hodgkinien. Il a appris les statistiques, s’est préparé aux issues les plus difficiles, a mémorisé les chiffres.

C’est comme ça que j’ai appris qu’il s’agissait d’un lymphome à développement rapide, néanmoins relativement « facile » à soigner. Certains pourraient se dire que « si ce n’est que ça, tout va bien, pas de quoi en faire tout un plat ». Et j’ai essayé de me raccrocher à cette pensée, cette idée du cancer « facile ». Ridicule n’est-ce pas ? Mais il ne fallait surtout pas que je m’effondre, je n’en avais pas le droit ni l’envie d’ailleurs.

Et si je suis ici, ce n’est pas pour vous raconter le combat d’Endymion, comment le pourrais-je ? Il a en lui autant de mots et de maux que je serai bien en peine de rapporter. Je ne pourrai jamais être le porte-étendard de son combat, peu importe nos conversations interminables, plein de peur, de doute, de sincérité, d’amour et de douleurs que nous avons pu avoir. Je ne pourrai jamais comprendre tout ce que faire face à la mort secoue. Parce qu’il s’agit bien de cela : faire face à la mort.

Et là où je suis incapable de me mettre à sa place, lui ne le pourra pas davantage avec moi. Il m’a avoué qu’il ne pouvait même pas imaginer une seule seconde que les rôles soient inversés.

C’est donc pour ça que je pose ces quelques lignes sur le papier, pour porter mon maigre témoignage de ce que j’ai vécu avec Endymion. Un aperçu de ce que vivent les proches des malades.

 

Après l’annonce que nous avons reçu, il nous a fallu l’annoncer à nos familles respectives. Mon Dieu quelle horreur cela-a-t-il été pour lui de l’annoncer à son père... Je sais qu’il s’est senti coupable, coupable d’être malade, coupable de faire souffrir les gens qu’il aimait. Et, paradoxalement, je pense que c’est cette culpabilité qui l’a sauvé. Il a utilisé toutes ses recherches pour rassurer ses proches, moi y compris. Il a été clair sur les risques, n’a jamais rien caché, à part sa peur. Il a créé sa force grâce à ses proches, car pour lui, il ne devait faire qu’une chose : les protéger le plus possible de la souffrance. Il devait les aider à encaisser la maladie.

De mon côté, l’annonce à la famille n’a pas été si « chevaleresque ». J’avais besoin de pleurer, et je ne pouvais pas me le permettre face à la famille d’Endymion. Il était hors de question que je leur montre ma peur, ma tristesse et ma douleur. Et je me suis rendu compte que j’ai fini par fonctionner de la même façon avec mes proches au fur et à mesure. À quelques exceptions, des exceptions salvatrices.

C’est une chose incroyable que de vivre une telle épreuve et de s’en être endurci pour les autres, pour ceux qu’on aime et pas soi-même.

J’ai pleuré avec Endymion, le nier serait ridicule. Je lui ai parlé de mes peurs, que je ne voulais pas le perdre.

Et puis, la chimiothérapie a commencé, il était suivi par un médecin que je nommerai Asclépios. Un hématologue d’une gentillesse incroyable, et d’une limpidité remarquable. Il nous a expliqué le déroulé du traitement, les risques, la procédure.

À ce moment-là, je ne réalisais pas vraiment, et pourtant, nous étions dans le cabinet, à l’entendre parler des impacts du traitement sur la santé. Parce que si le cancer tue, la chimio gangrène, un subtil traitement à base de bénéfice/risque effrayant, qui abime, mais moins que la maladie.

Nous avons appris que le traitement nous ferait voir clairement la maladie. La chimio, c’était le risque de stérilité très élevé, c’était ses poumons et son cœur qui risquaient d’être atteints, que les effets secondaires rendraient le traitement éprouvant, plus que le cancer en lui-même, plus vicieux, insidieux et indolore finalement.

Je n’ai pas compris sur le moment, je n’ai pas tout compris non. Je n’avais toujours pas réalisé sa maladie, même après le rendez-vous avec Asclépios. Et pourtant, pourtant le cancer était bien là. Après la première biopsie qui avait détecté le lymphome, les prises de sang ont commencé, les TEP scan, la pose du cathéter, les rendez-vous avec un cabinet pour la préservation de son patrimoine génétique. Il était en plein dans la tempête, et je le suivais comme je pouvais, en pleine sidération et incompréhension.

Je n’ai commencé à comprendre que lors du premier cycle de chimiothérapie. Puis, il a fallu que je lui rase les cheveux, sa longue chevelure de métalleux. Y repenser me met les larmes aux yeux, parce que, finalement, le moment était solennel, mais on racontait des idioties, on essayait d’alléger l’instant. Alors que je voyais dans ses yeux un air d’abattement, une flamme qui vacille. Lui couper et raser ses cheveux étaient la concrétisation de sa maladie. Il avait le cancer, et son traitement l’abimait tellement qu’il commençait à perdre ses poils et sa vitalité.   

Nous n’habitions pas ensemble, mais nous avions décidé, lors de ses traitements, qu’il resterait chez moi le temps des effets secondaires, afin que je puisse m’occuper de lui, lui faire à manger, qu’il n’ait à faire rien d’autre que se concentrer sur sa santé.

Et plus la chimiothérapie avançait, plus les effets se voyaient. Ses lèvres étaient devenues blanches, il avait des nausées, prenait médicament sur médicament, il ne voulait rien manger et dormait tout le temps. Mais j’ai tenu, je crois que j’ai tenu bon. Jamais je n’avais pensé une seule seconde le laisser seul dans son combat. Pourquoi aurais-je abandonné l’homme que j’aimais à ce moment charnière de sa vie ?

Attention, je ne juge pas ceux qui l’ont fait, parce que maintenant que je l’ai traversé, je peux comprendre que le poids soit trop lourd. La maladie devient une maitresse vile, sale et dévastatrice. Vous voyez la personne que vous aimez endurer les pires souffrances dans l’espoir de pouvoir continuer à vivre, et parfois, la victoire n’arrive pas, malgré toute la force du combat.

Alors non, je ne pourrai jamais juger une personne qui préfère rompre avec le conjoint malade.

 

Et vous savez quoi ? J’ai vécu son traitement le plus normalement du monde, conservant le plus de sérénité possible. J’étais la messagère pour sa famille quand il n’était pas suffisamment en forme pour le faire, je tenais au courant ma famille également. J’étais sa secrétaire, et j’aimais ça, j’aimais être là pour eux, parce que je savais que je soulageais Endymion, et que j’arrivais, étonnamment, à rester rassurante (du moins je le pense).

Les gens qui me connaissent ont admis n’avoir jamais pensé que je serais suffisamment forte pour gérer la situation. Et bien vous savez quoi ? Je l’ai gérée, comme je le devais, comme je le pouvais. Bien, mal, de façon maladroite, peu importait, je devais gérer, je devais le soutenir tandis qu’il faisait sa valse avec la mort.

 

Aujourd’hui, il est sorti d’affaire. Il est arrivé au bout de son combat après avoir traversé plusieurs protocoles de chimiothérapie, car le diagnostic initial avait été légèrement erroné, qu’il n’avait pas été en rémission complète à la fin de son protocole classique. Il a eu une chimio très agressive, une légèrement moins, puis de la microchimio.

Nous ne sommes plus ensemble, pour plusieurs raisons qui n’ont pas leur place ici. Mais de toute façon, il nous aurait été difficile de reprendre le cours de notre vie, de notre couple, comme si de rien n’était.

Il avait besoin de « revivre », de célébrer sa renaissance seul. J’avais besoin de notre ancien quotidien, de nous retrouver. Nous avions besoin de nous réapproprier notre vie, mais différemment. Alors nos chemins se sont séparés.

Je pense que son cancer l’a affecté et l’affecte encore, c’est normal de le penser. Je ne l’affirmerai pas, car nos contacts se font plus rares, et je n’ai jamais prétendu pouvoir parler en son nom.

Pour ma part, plusieurs jours après avoir appris sa rémission, j’ai subi un violent raz-de-marée émotionnel, une phase dépressive. J’avais tellement tenu le fort durant ces six derniers mois que d’apprendre que tout était derrière nous à faire s’effondrer le barrage.

C’est cela finalement qui nous a convaincus de faire une pause dans notre relation.

Il avait besoin de rire, d’oublier, de se réapproprier son corps et son bonheur alors que moi, j’avais besoin d’évacuer l’angoisse et la peur, de parler de ce que nous avions traversé.

Puis, d’autres évènements sont arrivés (sans lien avec ce témoignage sur le cancer, donc que je passerai sous silence) et j’ai décidé d’acter notre séparation.

 

Nous avions combattu le cancer ensemble, il en était arrivé à bout. Nous en sommes sortis blessés par le combat, mais plus fort, chacun de notre côté.

  • alt.text.label.Instagram

© 2022 par Artémis Tanner. Créé avec Wix.com

bottom of page